Berlin Stories (2006-2020)
un passage à l’âge adulte tardif dans la ville de tous les possibles
Chapitre 1
Berlin mon amour
Juin 2006
Je suis “étudiant” à l’école de commerce de Reims, frustré à souhait, car pas à ma place.
Je passe à l’époque le minimum de temps à l’école et le maximum de temps en répet avec mon meilleur pote David, qui est prof de philo dans un des lycées de la ville.
Mes notes étant catastrophiques, je rate l’échange à Buenos Aires qui me fait rêver. Je manque aussi celui à Frankfurt sur Oder, le dernier de la liste, puisqu’en réalité je ne suis éligible à aucun échange. Je cherche donc une solution pour sortir de ma routine et tenter une nouvelle aventure.
L’un de mes seuls potes de promo, Thomas m’avait parlé de Berlin qui semblait être à l’époque une ville de fou. J’avais été biberonné à Tracks qui illuminait mes vendredi soir d’ado provincial, j’avais donc inconsciemment et depuis longtemps une attirance pour cette ville.
J’étais en apprentissage chez IBM dans les tours anonymes de la Défense, m’ennuyait ferme mais sentis la brèche et le moyen de m’envoyer en “stage” dans la capitale de la teuf.
Un tour de passe-passe sur l’Intranet de la boîte et me voilà officiellement stagiaire au sein de la partie formation d’IBM Berlin.
Quelques semaines plus tard me voici, répondant à une annonce pour un appart.
Colloc internationale, 2 allemands Kai et Julia, 1 italien Stefano, 1 française Esther cherchent une colocataire : grand appartement, organisons souvent des fêtes.
Je réponds sans me démonter : „Je ne suis pas une fille, mais j'aimerais bien vivre avec vous“.
Julia répondit à mon annonce. Elle fut mon premier contact avec la ville.
2 semaines plus tard
Je décolle pour Berlin. J'arrive là, à S-Bahnhof Sonnenallee. Je demande mon chemin à des ivrognes assis sur la place. Je ne comprends pas un traître mot de cette langue.
Je sonne au Saalestrasse 42. Julia m'ouvre.
Cette jeune fille aux cheveux blonds cendrés portant des lunettes et au corps presque enfantin m’intrigue dès notre premier échange.
Née à Neukölln tout comme Kai (ils étaient amis d’enfance), elle avait fait sa scolarité dans le quartier. Elle était une brillante étudiante en philosophie à la Freie Universität. Elle était polyglotte, parlait un français parfait, comme la plupart des berlinois que je rencontrai durant l’été 2006.
Elle était également passionnée par la fête et organisait chaque weekend, dans son appartement les fameuses WG party qui faisaient fureur à l’époque. L’alcool y était à profusion. 40-50 personnes s’entassaient dans l’appart dont la cuisine disparaissait sous un nuage de fumée géant ne réapparaissant qu’au matin suivant.
On fait les présentations. Je suis encore un petit français coincé qui ne sait pas encore ce qui l'attend.
Je pose mes bagages, on boit quelques verres et fait connaissance puis on décide de partir en club.
Ils ont tous l'air tellement détendus, plus ouverts qu'en France, qu'à Paris. On part pour le Cassiopeia, où du HipHop des années 90 fait vrombir les enceintes, la nuit tombe, on passe au RAW Tempel, où la Drum n Bass fait la loi, on se rapproche les uns des autres, l'ambiance est moite. Puis Kai propose de poursuivre la nuit au Yaam, un club au bord de la Spree.
Mais quelle est cette ville où l'on passe d'un club à l'autre sans débourser le moindre euro et où le concept de dress code n'existe pas ?
Le soleil se lève sur la Spree, nous commençons peu à peu à perdre nos forces, puis Julia relance tout le monde : „si on allait nager“.
Sans perdre de temps, on s'engouffre dans la voiture de Tim, l’ex de Julia, et on fonce direction Columbiabad. On traverse Kreuzberg à pleine vitesse en passant sur l'Oberbaumbrücke, fenêtre ouverte, cheveux aux vents.
On arrive devant un grillage et des barbelés. On lance un manteau sur les barbelés et chacun se met à grimper, en se blessant plus ou moins. On arrive sur une immense pelouse. Tim court à grandes enjambées et se retrouve au pied d'une tour. Ils se déshabillent et la tour s'avère être en réalité un plongeoir qui doit bien faire dans les 7, 8 mètres de haut. Ils sont dingues. La nuit est noire. Ils plongent l'un après l'autre dans cette gigantesque marmite noire.
Soudain un garde apparaît, tout le monde se met à courir, on se cache derrière un buisson, puis nous dirigeons vers le grillage, on jette nos vêtements par-dessus, on escalade en s'écorchant encore plus qu'à l'aller, on fonce dans la voiture, puis direction le Saalestrasse 42, notre QG.
On se retrouve tous dans la grande cuisine aux murs rouges, âme de l'appartement. Tous les collocs vont se coucher l'un après l'autre sauf Julia et moi. Elle prend ma main et me dit : „je crois que je t'aime bien“.
On s'embrasse : c'était ma première nuit à Berlin.
Quelques semaines plus tard, Zidane mettait un coup de tête fatal dans la poitrine de Materrazzi en finale de la coupe du monde. Au même moment, je faisais voler en éclat mon couple avec une camarade de promo à Reims, puisque j’étais désormais officiellement avec Julia.
Chapitre 2
Freak de l’Afrique
Eté 2007
Ça y est, j'habite Berlin. J'ai un appart dans la Reichenbergerstrasse, klein aber fein, chouette Altbau rempli d’objets de design et d'œuvres d’art en tout genre, je suis sous le charme.
J’ai envie de devenir photographe, vivre de ma musique. Mais il faut bien payer les bills et après avoir vendu la plupart de mes disques, mon Roland RD700, mon ampli Fender Twin Reverb adoré à un prix misérable, il est grand temps de chercher un job „convenable“, au moins pour l'été.
Bingo, une boîte de télécom cherche un commercial pour l'Afrique de l'Ouest : naïf et curieux, je me présente.
Les déplacements en Afrique promis par l'annonce m'intriguent, je me lance. Je rencontre donc le boss de cette PME M. Sabi, homme d'affaires béninois qui en impose. Il fait un bon mètre 90, ne quitte jamais son costume Armani, arbore une fière moustache ébouriffée et semble être très respecté (ou peut-être plutôt craint par ses employées). Il me fait miroiter un salaire de fou, je suis fauché, je fonce.
Une semaine plus tard, me voilà en voyage d'affaires direction Abidjan
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Une semaine plus tard, me voilà en voyage d'affaires direction Abidjan 〰️〰️〰️〰️〰️〰️〰️〰️〰️〰️〰️〰️〰️
Je passe ma première nuit à Ouagadougou, le Burkina Faso est donc mon premier contact avec ce continent fascinant. Il fait chaud, l'aéroport est surpeuplé. Une personne m'y attend puis m'emmène à l'hôtel. Je pose mes affaires, descends au bar de l'hôtel. Tout à coup, débarque une femme qui vient s'asseoir à côté de moi. Elle s’appelle Aya. Elle engage la conversation puis me propose de danser.
Elle a de longs cheveux frisés, un sourire magnétique. Je la suis. Je comprends immédiatement qu’elle tente de me charmer en échange des quelques billets, mais elle s’aperçoit quasiment au même moment que je ne serai jamais son “client”. Cette inconnue à l'âme des plus douces, me réconforte par sa présence. L'ambiance est agréable, le volume sonore augmente, sa danse est de plus en plus explicite, battant sa main comme un ventilateur imaginaire qui refroidirait ses parties intimes en fusion.
On passe une bonne heure à danser et échanger sur nos vies puis je décide de remonter dans ma chambre.
Le lendemain, départ pour Abidjan, dans un petit „coucou“, mon cœur s'accroche. J'ai un passé aéronautique compliqué et notamment un Paris-Dallas deux ans plus tôt pendant lequel j'ai cru y passer. Bref, j'arrive à Abidjan.
Nous sommes au lendemain d'un attentat contre le premier ministre, des militaires en armes
quadrillent l'aéroport. Au passage, un des douaniers m'interrogent sur mon miracle capillaire, tant toute trace de cheveux manquait sur mon passeport alors que j'arborais en ce jour de 2007 une chevelure plutôt fournie.
Nous reviendrons là-dessus plus tard.
M. Sabi me récupère, nous fonçons dans une Jeep et quittons l'aéroport. Cette ville me semble sublime. Une moiteur tropicale nous écrase, de grands immeubles près du fleuve alternent avec des bidonvilles. Nous arrivons au restaurant, près de la plage, où nous avons rendez-vous avec la première dame, épouse du président fraîchement renversé : c'est surréaliste.
Cette femme d’une soixantaine d’année est d’une beauté incroyable. Elle arbore une tunique noire dont le col coloré est une frise géométrique, elle m’intimide. Cependant, je n'écoute qu'à moitié ce qu'il se dit à table, tant mon esprit vagabonde et s'imagine partir à la découverte de cette ville, de ce pays, de ce continent.
Hélas, rien de tout cela n'est possible, tant la situation politique est tendue et mon emploi du temps millimétré.
Après une brève marche sur la plage après le dîner, nous sommes contraints de regagner l'hôtel. Mon rendez-vous avec les télécoms ivoiriens a lieu le lendemain.
RAS, j'essaye d'attraper tout ce que je peux de nos virées frustrantes en taxi, mais ce ne sont que des miettes de décor. Déjà je me prépare pour mon prochain voyage, direction Nouakchott en Mauritanie.
J'y passerai quelques jours seul, ce qui me laissera, je l'espère, le loisir de découvrir quelque chose de ce pays inconnu.
Changement de décor total.
Passage sans transition de la moiteur équatoriale au survol d'une ville géométrique construite dans le sable brûlant du désert. Les hommes bleus sont sublimes, il se dégage de cet endroit une immense sérénité qui n'est hélas qu'apparente.
Cependant, pour la première fois, je peux marcher dans les rues, seul. La ville est superbe. Les rues sont en sable, de petites bâtisses blanches les comblent. Un des hommes d'affaires corpulent et jovial avec lequel je suis en contact m'invite à faire des essayages dans une boutique de la ville. Il veut m'offrir un habit traditionnel. Je jubile, tant la beauté de ces étoffes me ravit.
J'assiste ensuite au ballet des Jeeps dans les dunes près de la mer qui s'affrontent à grands coups de dérapage, de vrombissements de moteur et de rejet sans retenue de gaz toxiques dans l'atmosphère.
Il est temps de repartir.
CHAPITRE 3
New Year’s beef
31. décembre 2007
Depuis 2 jours les rues de Neukölln sont en état de siège. Les “Böller” fusent de toute part, des ambiances de guérilla urbaine dans la nuit noire et glacée de Berlin. Répétition générale avant le grand final du 31 à minuit.
19h
Une dispute éclate entre Prune et son mec. Prune est une des anciennes collocs en visite à Berlin pour le nouvel an. Elle vit à présent à Paris. Elle a le sang chaud, de longs cheveux noirs, le verbe haut et explose en rien de temps. On se met d’accord sur le plan de la soirée, mais le ton monte en arrière plan entre David et Prune, lui choisissant ce moment pour lui avouer l’avoir trompée 2 semaines plus tôt lors d’une teuf à Paris.
Au bout de quelques minutes, la situation devient ingérable, David se retrouve expulsé de l'appart, ses affaires volant par le balcon et s'écrasant 3 mètres plus bas dans la neige.
On parvient tout de même à recoller les morceaux et on s'engouffre 30 minutes plus tard dans le S-Bahn direction Treptower Park.
On descend et nous retrouvons au pied d’un imposant immeuble désaffecté sur le toit duquel on s’est mis en tête d’observer le spectacle apocalyptique du passage à l’an 2008.
Des potes de potes de potes nous rejoignent, on est désormais une cinquantaine à nous lancer à l’assaut de cette montagne de briques. Tout le monde est un peu bourré/défoncé ou les deux.
L’ascension est des plus périlleuses. On trouve une sorte d’escalier de service qui nous permet de rejoindre la partie supérieure de l’immeuble. Puis on se retrouve à nouveau dehors, marchant en file indienne sur une corniche étroite. Derrière nous le vide. David qui a clairement abusé sur l’herbe après sa dispute avec Prune, fait un faux pas, un pied dans le vide, on se met à plusieurs pour rattraper son bras et sécuriser son avancée, évitant qu’il se fracasse sur le sol, 20 mètres plus bas.
Quelques minutes plus tard, et à priori au complet, nous voilà au sommet de cette tour de Babbel. Le spectacle est insensé. Nous nous enlaçons et hurlons à l’unisson pour célébrer ce nouveau commencement. 30 minutes d’explosion multicolores illuminent le ciel Berlinois.
CHAPITRE 4
Démarquez-vous.
Oscar Wild
janvier 2008
Après 6 mois vécus à distance, quelques weekends en “amoureux”, Istanbul sous la neige* et le carnaval de Köln sous la bière, plus quelques mois ensemble depuis mon arrivée à Berlin, ma relation avec Julia se désintègre inexorablement.
La WG vient d’accueillir Olivia, exubérante madrilène aux formes aussi généreuses que son cœur, brillante étudiante en biologie moléculaire en échange à la Freie Universität. Elle apporte un vent de fraîcheur dans la colloc, par son franc parler et son énergie. Elle est vraiment l’élément qui rebooste tout le monde et qui me fascine tant mon quotidien est morne.
Alors que ma relation avec Julia se disloque peu à peu, Olivia m’offre son énergie. Je la saisis, un réconfort immense, dans le froid des hivers berlinois. On se comprend, nous les étrangers fraîchement débarqués en ville. En parallèle, je me sens de plus en plus en décalage avec ceux que je pensais être des amis et c’est assez naturellement que nous nous rapprochons, chaque jour un peu plus.
Julia est de plus en plus distante à mesure que la fin de son doctorat approche. Je sens qu’on est prêt de la rupture.
Un soir, sans préméditation, alors que j’ai vraiment l’impression d’avoir perdu pied, je décide de faire une sorte d'attentat amoureux, qui, je le sais, fera voler en éclat le reste de mon couple, ainsi que mes premières amitiés berlinoises mais aussi la vie de colloc de cette nouvelle arrivante.
Je sais que nous avons de l’attirance l’un pour l’autre et je m'abandonne totalement quitte à en payer le prix fort.
Je décide donc de quitter la chambre de Julia, alors que nous venons de nous endormir pour passer par le balcon et frapper à la fenêtre d’Olivia qui occupe la chambre voisine.
Celle-ci m'ouvre, nous nous regardons quelques instants, puis nous embrassons, nous nous enlaçons et faisons l'amour, bruyamment. Je me rends immédiatement compte de la bombe que je viens de faire exploser.
Je quitte donc la collocation au petit matin pour ne plus jamais y remettre les pieds.
Quelques semaines plus tard, je me décide d’écrire une lettre à Julia, dans laquelle je vide mon sac, mélangeant un peu tout, mon mal-être, des éléments de son comportement qui ont pu m’irriter. Cela n’a ni queue ni tête et ce que je considère être une façon d’exorciser ma peine est très vite perçu comme un acte de lâcheté absolue,
si bien que Julia a la brillante idée de me confronter à mes écrits.
Nous nous retrouvons ainsi à Treptower Park, quasiment seuls dans ce parc magnifique. Elle m’ordonne de lui faire la lecture de ma lettre explosive, m’obligeant à assumer face à elle la cruauté de mes propos. Je prends une leçon que je n’étais pas prêt d’oublier.
Berlin m’avait mis à terre.
Istanbul octobre 2007
On ne s'est pas vu depuis 3 mois. J’ai terriblement envie de faire l’amour.
On s'est donné rendez-vous au sommet de la tour Galata. Je suis obsédé par son corps. Pour la première fois depuis des dizaines d’années, il neige en octobre à Istanbul. On a peu de temps, on essaye de grappiller un maximum d’impressions de cette ville sublime et de s’embrasser à chaque coin de rue. On passe par le légendaire hammam Suleymanie, dans laquelle j’observe Julia se faire “malmener” par un masseur de 120 kilos plus poilu qu’un bison.
Quelques minutes plus tard, c’est mon tour. Je n’ai qu’une seule crainte, qu’il ne frotte pas mes cheveux trop fort.
On survit au hammam, marchons des kilomètres dans la ville et décidons de prendre un raccourci.
La nuit est tombée sur la ville. Mauvaise idée, le raccourci en question est le grand bazar dont les méandres de ruelles peuvent jouer des tours même aux plus avertis des stambouliotes.
On s’aperçoit très rapidement de notre maladresse et au bout de quelques mètres, il est déjà impossible de faire demi-tour, notre porte d’entrée dans ce monde a disparu derrière nous.
Au bout de 2 minutes, et pour ajouter un peu de piment à l’aventure, on entend des hurlements semblant nous être adressés et se rapprochant à chacune de nos respirations. On est suivi par un groupe de 4 hommes, dont les intentions ne semblent pas être des plus pacifiques.
On essaye de continuer notre marche sans broncher, observant le réseau des ruelles se densifier. Notre espoir disparaît à mesure qu’ils se rapprochent. On ne veut pas se mettre à courir, on devrait clairement le faire.
Appeler à l’aide, mais on est totalement paralysés, juste capable de mettre un pied devant l’autre.
Les minutes s’écoulent, ils ne sont plus qu’à 3-4 mètres de nous, quand soudain, l’impensable arrive : nous déboulons sur une immense artère commerçante qui vrombit de vie, le groupe se désintègre, nous sommes sauvés.
CHAPITRE 5
Y-a-t-il un DJ DANS LA SALLE ?
Mars 2008
À mon arrivée à Berlin à 26 ans, je suis d'une candeur sans borne, je rêve de vivre de ma musique mais n'ai absolument aucun plan à ma disposition.
Résultat, au bout de quelques semaines, me voilà contraint de vendre la quasi-totalité de mon matos. Malgré tout, j'arrive à sauver quelques vinyls et tente ma chance pour aller mixer dans des bars.
À l'époque, il y a des platines dans 90% des bars et il est facile de chopper 50 euros pour passer quelques heures de musique.
Je me dirige donc vers le Bar 11, premier bar que je vois sur la Wienerstrasse à Kreuzberg. Je parle au boss, un costaud que je comprends à peine vu mon niveau d'allemand.
Le mec a l'air cool, il me donne ma chance. Je peux repasser le lendemain, passer de la musique contre un petit billet.
Je débarque donc le lendemain avec mes 30 disques sous le bras, tout ce qui me reste et espère pouvoir tenir suffisamment de temps.
À ma grande surprise, quand je débarque dans la „cabine de DJ“, une des 2 platines ne fonctionne pas.
Je sens la sueur monter. Pour ma grande première, j'ai droit à du matos défectueux, yes.
Le boss vient vers moi et me file une tape dans le dos, dont j'ai probablement encore la trace aujourd'hui.
”T'inquiète mec, ça va le faire, t'as qu'à jouer avec une platine.”
Euhhh c'est à dire que c'est pas possible. Mais si, ça va le faire.
Étant plutôt timoré à l'époque et vu le gabarit du boss vs le mien, j'accepte finalement le challenge.
Il y a donc un blanc de 30 secondes entre chacun de mes morceaux, le temps que je change de disque.
Je suis malgré tout plutôt satisfait de ma sélection et de ma capacité d'improvisation, quand surgit un cri du fond du bar. „Was ist das für eine schwule Musik hier“.
Je comprends immédiatement que les habitués de ce bar de rockeur ne sont pas très amateurs de groove. Fuck that. Je continue avec MA platine, mes 30 disques et finit mon premier set en ayant au passage épaissi cette peau encore bien fine.
Robbi, le boss, a aimé mon set, il m'invite à revenir toutes les semaines. Dans ma tête ça veut dire, loyer assuré, bingo.
Je repasse donc tous les vendredis soir, ils réparent les platines entre temps, je prends de l'assurance et fait la connaissance un soir d’Anna, une serveuse blonde androgyne me rappelant Jane Birkin période Melody Nelson. Elle me dévergonde à grands coups de shots de vodka.
Chaque semaine le même cérémonial, le groove, la vodka, les rockeurs que je convertis semaine après semaine à MON groove et la complicité avec Anna qui grandit. Si bien que le lendemain d’un de ces sets du vendredi soir, je prends mon courage à deux mains (enfin qu’à moitié finalement), et demande à Robbi de me donner le numéro de tel d’Anna, prétextant vouloir lui demander un truc sur un disque duquel nous avons parlé.
Je l’invite finalement par SMS à un concert que je fais la semaine d’après.
Elle vint au concert, hélas pas à la bonne date.
Peu importe, je commençais à accumuler les gigs de DJ et devenait résident au Cake sur la Oranienstraße, au mythique Konrad Tönz, au Wiener Blut et donc au Bar 11.
J'apprenais à répondre fermement aux requêtes idiotes des touristes ivres mais je rencontrais aussi régulièrement des passionnés ultra pointus qui hochaient la tête sur des solo des Headhunters ou sur du Hiphop français underground.
Peu importe, je commençais à accumuler les gigs de DJ et devenait résident au Cake sur la Oranienstraße, au mythique Konrad Tönz, au Wiener Blut et donc au Bar 11.
J'apprenais à répondre fermement aux requêtes idiotes des touristes ivres mais je rencontrais aussi régulièrement des passionnés ultra pointus qui hochaient la tête sur des solo des Headhunters ou sur du Hiphop français underground.
CHAPITRE 6
Opéra Bouffon
à Salzburg
mars 2009
Mon groupe, The Hoo, commence à tourner et je gagne une petite réputation parmi les clavieristes funk installés sur Berlin, si bien q’un matin, un type me contacte sur FB me disant qu'il cherche un clavier pour accompagner une chanteuse d'Opéra.
Je regarde un peu qui il est : Stephen Mc Allister, batteur anglais, organisateur de Baltic Soul Weekender, un événement pour quadra près de la mer baltique pour lequel il fait venir des stars soul des 70s qu'il accompagne avec son backing band.
N'ayant rien perdu de mon âme d'aventurier, je me décide à relever le défi.
Petit hic, je suis un piètre lecteur de musique à l’époque puisque je joue quasi exclusivement ma musique, celle-ci étant non-écrite.
Bref, je le suis quand même. On s'envole pour la patrie de Mozart, Salzburg. 40 min de vol.
On débarque sur place, on prend un petit déj au centre ville de ce petit joyau touristique kitsch à souhait et nous voilà sonnant à la porte de Grace Bumbry.
La porte s'ouvre, une pétillante femme, afro-américaine, de 70 ans à peu près nous accueille chaleureusement.
On avance vers le salon où se trouve un piano à queue. Dans le couloir, son hall of fame.
Une photo d'elle adossée à sa Lamborghini, une photo d'elle avec Barack Obama et d'autres présidents américains. Elle a l'air de peser dans le game.
On ne perd pas de temps, et je m'installe au piano. La pression monte. On doit reprendre Feeling Good de Nina Simone, un morceau pourtant plutôt simple.
Mais, à l'époque, la vue d'une partition me fait paniquer.
Stephen est censé aider Grace à faire son retour sur scène en montant un concert de reprise de Jazz et Pop supposé se dérouler au théâtre du Châtelet à Paris quelques mois plus tard.
Au bout de quelques minutes, mon incompétence de lecteur est criante, elle perd patience. Nous faisons une pause dans l'escalier.
Stephen tente de me détendre, on fume une cigarette puis on s'y remet.
Ce n'est guère plus convaincant. Ce qui s'est passé après reste très flou. Je n'ai plus aucun souvenir de la fin de notre „répétition“ comme si mon cerveau avait absolument cherché à faire disparaître au plus vite cette expérience surréaliste.
Quelques bribes de notre retour à Berlin réapparaissent. Une autre cigarette à l'arrivée à Tegel, le soleil brillait.
Le concert n'eut jamais lieu.
CHAPITRE 7
Démarquez-vous.
OISEAU DE NUIT
2010
Toujours prêt à expérimenter dans mes day jobs, je réponds à une offre pour travailler de nuit dans une auberge de jeunesse. A l’époque, je me dis qu’un investissement intellectuel et physique trop important dans un day job viendrait compromettre ma créativité. Je ne me rends pas du tout compte de l'impact mental et physique du job de veilleur de nuit.
Je commence à l'auberge Baxpax Kreuzberg à l’été 2010. La team est internationale, je fais la connaissance de celle qui deviendra ma petite sœur berlinoise, Laure.
Cette parisienne, étudiante en archéologie, au tempérament de feu et aux longs cheveux noirs sera ma confidente, mon point de repère pendant de nombreuses années à Berlin.
Je découvre la difficulté du travail de nuit, la lutte quotidienne imposée à mon corps durant ses fatidiques heures entre 3 et 6h du matin, où le maintien en éveil est un enfer, tant le corps et l'esprit ne répondent plus. Ce que je préfère dans ce job alimentaire est le moment où tout redevient calme, vers 1h du matin et où je peux enfin apprécier ma musique dans le hall de l’auberge, au calme, et m’enfoncer dans ma chaise à demi-assoupi jusqu’à 6h30 du matin..
Cependant, une nuit sur deux, c'est précisément à ce moment que les choses dérapent. On me prévient généralement qu'un touriste bourré à vomi sur le lit de son voisin ou quelque autre anecdote alléchante.
2 anecdotes de ces nuits sans sommeil me reviennent souvent à l’esprit.
La première débuta au moment où, je reçu un coup de fil de mon boss me disant qu'un groupe de Tarantelle (musique traditionnelle italienne pour les non initiés) devait débarquer d'un moment à l'autre et j'avais pour mission d'encaisser la coquette somme de 1650 €, correspondant au montant
total des nuits passées par le groupe au Baxpax.
A peine le téléphone raccroché, je vois débarquer une trentaine de musiciens survoltés.
Je comprends assez vite qui est leur „chef“, un petit brun nerveux, à la démarche énergique. Il se dirige vers moi. Nous faisons le check-in en “italien”, puis je lui demande la somme en question.
C'est à ce moment que tout dérape. Il pousse un cri, répliqué par l'ensemble du groupe. Il vocifère, parle de malentendu. Je garde mon calme face à cette horde devenue sauvage. Il me menace avec sa guitare. Je suis à 2 doigts de penser que tout va déraper.
Je tente de les calmer et tout d'un coup alors que je prie pour mon salut, le téléphone portable du chef du groupe sonne, il comprend son erreur. L'organisateur de leur tournée lui confirme ce que je lui demandais.
Il redescend enfin sur terre. Me règle la somme, s'excuse platement. Le nuage de musiciens s'évapore vers les chambres, je souffle et me mets en mode lutte contre la fatigue. Une nuit de plus s'achève à l'auberge Baxpax.
Autre nuit, autre ambiance. Une mère et son fils venant d’Ecosse ont décidé de passer un week-end à Berlin. Sur le papier, plutôt une belle idée.
Elle, les cheveux hirsutes frisés, maigrelette et tyrannique.
Lui, la vingtaine tout au plus, un rire satanique.
Quelques minutes après leur check-in, il commence à terroriser les autres touristes en se postant derrière eux sans faire de bruit et en leur chuchotant un charabia incompréhensible dans le creux de l’oreille. Les touristes défilent les uns après les autres auprès de moi pour se plaindre.
Je sens qu’à mesure que la lune s’épaissit, mes deux hôtes venant des Highlands se muent en loups-garous incontrôlables.
Je les somme donc d’arrêter ce harcèlement moral mais n’ai aucune prise sur eux. Pire, une dispute éclate entre eux, elle le menace avec une queue de billard, condamnant par la même l’utilisation de la table. Il réplique, sa queue à la main, c'est absurde.
Je décide finalement d’appeler les flics à la rescousse..
Au moment où je repose le combiné sur son socle, je les vois s’évaporer dans l’escalier de l’auberge et disparaître dans la nuit.
Quelques mois plus tard et alors que je passe encore mes nuits libres à mixer dans des bars, j'ai sévèrement endommagé mon nerf sciatique sous le poids des vinyls.
Je me réveille donc un matin, complètement paralysé et reste cloué au lit les 2 mois suivants, ce qui sonne la fin de l'aventure Baxpax et m’oblige à passer mon temps sur Ableton sur lequel j’écris des morceaux comme le Voyage Immobile notamment.
CHAPITRE 8
Who’s Bad?
été 2010
Ça fait trois ans que je sors avec Anna, on vit une jolie histoire, du moins c’est ce que je pense. Les premiers mois elle me garde un peu à distance, on se voit à doses homéopathiques, j’en souffre un peu.
Peut-être est-ce tout simplement car je n’ai pas de réelle vie sociale à l’époque.
Je m’accroche désespérément à chacune de ces filles, tel un naufragé accroché à un radeau à la dérive sur une mer lointaine.
Cette serveuse rencontrée lors de mon tout premier DJ set est une artiste dans l’âme. Elle dessine et peint à merveille dans un style assez sombre et anguleux inspiré de Schiele.
Elle continue d’être persuadée que je prends régulièrement de la coke, tant ma capacité à me lever tôt après nos longues soirées l’intrigue. Pourtant, je reste bel et bien à l’écart de toute substance à une époque où faire la teuf à Berlin est souvent synonyme de drogue. Là-dessus je suis resté un petit enfant sage, ayant bu ma première bière en école de commerce à 23 ans. Il en va peut-être mieux ainsi tant les vices de cette ville en engloutissent plus d’un. Je préfère m’enivrer au son de la puissance de la musique des clubs.
Elle est me présente sa bande de copines, qui m’adopte immédiatement. C’est ma nouvelle famille, du moins je le pense.
Elle a grandi dans le Berlin-Est pré-chute du mur dans un complexe de HLM où l’esprit communautaire semblait très poussé. Toutes ses copines actuelles sont issues de ce quartier, de ce bloc. Ce sont des personnalités attachantes, des génies du système D.
La plupart d’entre elles sont des artistes. L’une d’elles passionnée de HipHop et de Street art et me propose de réaliser la bande son de son court métrage d'animation.
Anna aspire à des études de scénographie au sein de l’École d’Art de Weissensee. Hélas, le concours d’entrée est extrêmement compliqué.
Un week-end d’été 2010, on décide d’aller à la découverte de la Sächsische
Schweiz, on emprunte la voiture de la mère d’une copine d’Anna et nous voilà arrivant à Bad Schandau, où on doit passer le weekend dans une petite auberge près d’un ruisseau.
On laisse la petite voiture rouge garée devant l’auberge et on se lance dans l’ascension des massifs rocheux environnants.
En bons alpinistes non préparés, on a ni chaussures de grimpe, ni plan, ni eau, ni vivres. Le brouillard est à couper au couteau, on ne croise personne sur le chemin qui nous mène au massif, on ne se démonte pas pour autant.
On ne se rend pas du tout compte que gravir ce massif, sans matériel un jour de grand brouillard est purement et simplement “lebensgefährlich”.
On emprunte une échelle, l’ascension se fait de plus en plus compliquée, on ne voit pas à 50 cm. Après 1h30 d’efforts on arrive au sommet d’un des massifs, la vue promise par le prospectus n’existe pas.
Un épais nuage blanc nous entoure. Est-ce le paradis ?